IA : bulle ou pas bulle ?
L'intelligence artificielle connaîtra-t-elle le même sort qu'Internet en 2000 ? Force est de constater que la valorisation des OpenAI, Palantir et consorts est déconnectée du réel…
La potentielle existence d'une bulle de l'IA est d'intérêt car le secteur a déjà avalé 1.200 milliards d'investissements directs, soit l'équivalent de la capacité d'investissement de l'ensemble de l'Union européenne sur une année. La raison en est simple : les perspectives de profits ont été largement gonflées aux stéroïdes par tous ceux qui en avaient immensément intérêt : les giga-entreprises technologiques américaines évidemment, mais aussi les start-up récentes, complétées des Anthropic et autres OpenAI, pour lesquels rien de toute cette effervescence n'existerait si c'était « business as usual » et si donc l'IA n'était qu'une technologie de plus.
Pour s'en convaincre, florilège de quelques déclarations entendues ces derniers temps : « Il va falloir se faire à un monde où le chômage va massivement revenir et cela très rapidement » (Dario Amodei, CEO d'Anthropic) ; « Aucune technologie ne va bouleverser l'économie aussi rapidement que l'IA va le faire dans les mois et années à venir » (Mark Zuckerberg, CEO de Meta) ; « Les métiers de codeurs vont très vite connaître le chômage de masse » (Sundar Pichai, CEO de Google). Et il ne s'agit là que de trois déclarations hyperboliques parmi tant d'autres.
Des craquelures apparaissent
Lorsque l'on évoque l'idée d'une bulle, immédiatement se dresse l'argument que « cette fois-ci ce n'est pas pareil » (comprendre que ce n'est pas pareil que lors du krach de l'Internet de mars 2000) : ces technologies seraient exponentielles et sont appelés à se diffuser à toute allure dans l'économie…
Force est d'admettre que si à moyen terme l'IA va plus que probablement se révéler une force de transformation centrale de notre civilisation, ce que l'on observe pour l'instant, c'est qu'apparaissent de plus en plus de craquelures dans ce narratif bien poli par les banques d'affaires en charge de la levée de fonds de tous ces sémillants acteurs. Ainsi le MIT vient de sortir une étude qui décrit par le menu pourquoi 95 % des projets d'accroissement de la productivité par l'IA sont des échecs : cela n'est pas exactement le chiffre que l'on attend d'une technologie appelée à radicalement et rapidement transformer l'économie. Et une autre explique de façon documentée que la productivité des codeurs seniors utilisant l'IA… baisse de 19 % par rapport aux codeurs qui ne l'utilisent pas.
De plus en plus d'analystes financiers publient des notes dans lesquels ils se demandent bien comment on va trouver une rentabilité à des entreprises d'IA dont les coûts de fonctionnement sont trois à cinq fois plus élevés que leurs revenus, alors même que les services attendus ne sont pas toujours au rendez-vous. Récemment, le directeur commercial d'un des « GAFAM » a été convoqué par une grande entreprise du CAC 40 qui lui aurait expliqué qu'il refusait désormais de payer pour l'assistant IA intégré dans sa suite bureautique et qui, selon le client avait plus la vertu de désorganiser ses services qu'autre chose.
Il serait évidemment aventureux d'essayer de prédire ce qui va se passer sur les marchés financiers et plus particulièrement concernant les indicateurs emblématiques du monde de l'IA (NASDAQ, indices GAFAM, etc.). Mais le ton général est quand même celui d'une déconnexion assez nette avec le réel. Le dîner où l'on voit Mark Zuckerberg demander à Trump si le montant de 600 milliards d'investissement qu'il venait doctement d'annoncer est le bon est pour le moins surréaliste… Et peu rassurant.
Si l'on s'en tient à la bourse, le NASDAQ avait pris 58 % dans les six mois précédant son effondrement de mars 2000. Là, nous n'en sommes qu'à 38 %. Nous aurions en théorie encore quelques mois devant nous… Là encore, les accélérationnistes de l'IA vont défendre que les entreprises des années 2000 ne faisaient que peu de revenus. On leur rétorquera qu'aucune n'avait atteint une valorisation de 250 fois son chiffre d'affaires, comme c'est le cas pour Palantir en ce moment, un exemple loin d'être isolé. On peut toujours se rassurer en observant que tout finit bien puisque, aujourd'hui, les big tech qui étaient présentes dans le Nasdaq d'alors valent aujourd'hui des centaines de fois ce qu'elles valaient en 2000.