IA : les gains de productivité ne vont pas arriver si rapidement
Les travaux de recherche - que l'on n'écoute malheureusement que peu - montrent que la productivité pourrait ne croître que marginalement dans un premier temps avec l'intelligence artificielle. A cet égard, le travail de Daron Acemoglu, l'un des plus grands économistes vivants, est éclairant.
Disparition massive de pans entiers d'emplois dans certains secteurs, généralisation de l'usage de l'IA dans les domaines du conseil, du marketing, du design, voici ce que nous expliquent à longueur de savants papiers (toujours en anglais et jamais traduits pour en souligner le sérieux) issus des grands cabinets de stratégie internationaux.
D'après eux, les gains de productivité iraient de 2 % par an (pour le plus raisonnable) à 6 %, dès 2028 (pour le plus audacieux) et cela dès 2028. Soit mécaniquement 50 % des emplois disparaîtraient d'une décennie sur l'autre.
Il est toutefois nécessaire de remettre l'église au milieu du village et cesser d'être catastrophiste à l'égard de l'IA et de l'emploi : les récents travaux académiques nous donnent des indications très éloignées de ces prédictions, reprises en choeur par les marchands de peur, les médias en mal de trafic, les influenceurs de tous poils en recherche d'influence.
Croissance marginale
Ce qu'en revanche disent les travaux de recherche - que l'on n'écoute malheureusement que peu -, c'est que la productivité pourrait ne croître que marginalement dans un premier temps. A cet égard, le travail de Daron Acemoglu , l'un des plus grands économistes vivants, est éclairant.
Selon lui, l'IA n'amènerait que 0,5 % de productivité cumulée sur les dix années à venir, loin donc de tous ces scénarios abracadabrants présentés lors de conférences magistrales, mais dont les méthodologies ne sont que partiellement publiées.
Technologie « systémique »
Faut-il s'en réjouir ou au contraire en pleurer ? En premier lieu, il faut comprendre que l'IA est une technologie « systémique » : c'est-à-dire qu'elle ne fonctionne que si un écosystème complexe comprenant disponibilité des capitaux, du capital humain, mise en place de nouveaux systèmes économiques et productifs, création d'une culture généralisée de la technologie en question… sont réunis. Le précédent cas de technologie systémique fut probablement celui de l'électricité.
Si les données économiques manquent pour précisément qualifier ce que fut la progression de son impact, l'on sait néanmoins que celui-ci ne s'est réellement manifesté que cinquante à quatre-vingts ans après que l'avenue de l'opéra n'a été électrifiée vers 1870. Soit entre 1920 et 1950.
Plus tôt, les mêmes enjeux s'étaient présentés à l'égard de l'automobile. Si le moteur à explosion a été inventé en 1859 (Etienne Lenoir), il faudra cinquante ans pour qu'une première classe privilégiée s'en empare avec la production de la Ford T (en 1908) et cent ans pour que cela devienne une technologie de masse. Il faut en effet standardiser l'essence, créer un code de la route, des plans routiers, le permis de conduire, mettre en place des réseaux de pompistes, des mécaniciens… Des facteurs indispensables, mais difficiles à implémenter à large échelle.
Scénario presque idéal
Concernant l'IA, certes, cela ira manifestement plus vite, car le propre de ces technologies se situe dans la facilité avec laquelle elles sont diffusables, par le cloud et internet. Si les gains de productivité seront donc d'abord très faibles, ils deviendront à n'en pas douter de plus en plus importants.
Un scénario presque idéal, il permet à l'ensemble des agents - régulateurs, législateurs, systèmes de formation, systèmes de production…) de s'adapter de façon progressive. Cela ne veut en aucun cas dire que nous ayons un répit nous permettant d'attendre.
Si l'on veut éviter une montée des inégalités, il nous faut activement mettre en place les formations de demain, l'antitrust adapté, transformer la nature des échanges économiques, trouver des processus de limitation des biais, par exemple en intégrant plus de femmes dans cet univers… bref s'assurer que les conditions soient réunies pour que cette technologie soit inclusive. C'est un défi qui est largement à la portée de l'Europe et de la France quoique l'esprit général au défaitisme puisse parfois le laisser croire.