Dormons tranquille, la reproduction sociale est assurée
Il ne faut pas s'étonner que les Français, lassés d'observer leurs élites se reproduire depuis toujours, « finissent par voter pour le premier idiot qui leur promet la lune ».
Il y a quelques jours étaient révélés les résultats des concours des grandes écoles, faisant et défaisant au fil des années la réputation des « prépas » , ces établissements où les élèves font leurs « taupes », c'est-à-dire travaillent intensément durant deux ans (trois ans pour ceux qui « cubent ») pour espérer se retrouver classés au sein de l'élite au travers de concours particulièrement exigeants. L'Ecole normale supérieure de Paris (« Ulm »), l'Ecole centrale ou les Mines sont quelques-unes des destinations des meilleurs d'entre eux.
Quant au saint des saints, c'est évidemment Polytechnique (« l'X ») . Toutes les prépas se battent pour y placer leurs élèves. Mais ce qui commence à agacer les élites parisiennes, de l'aveu même du directeur de l'une de ces grandes écoles, c'est le succès étourdissant du Lydex, un lycée marocain situé au milieu de nulle part, entre Marrakech et Casablanca.
S'inspirer du lycée Lydex
Non seulement ce lycée n'a, par définition, aucun lien avec le sérail français, mais de surcroît, au lieu de faire perdurer la reproduction sociale confondante que personne ne semble plus songer à dénoncer en France, il s'agit d'un lycée d'excellence, c'est-à-dire que les élèves y sont détectés au travers de tout le Maroc, non pas pour leurs performances exceptionnelles, mais pour leur capacité à progresser, lorsque les moyens leur sont donnés. Cette année, le Lydex a placé rien moins que 31 élèves à Polytechnique, 7 élèves à l'Ecole normale et de très nombreux autres dans l'ensemble des écoles accessibles par le concours général.
C'est un résultat d'autant plus extraordinaire que certains élèves viennent de milieux particulièrement défavorisés, comme par exemple celui qui est issu de la petite ville minière de Boukraa, municipalité située au milieu du Sahara, dont l'école n'est certainement pas comparable aux quatre établissements de l'Ile de France qui présélectionnent 80 % des élèves qui iront dans les meilleures prépas, également parisiennes.
Polytechnique
Le Lydex, école publique dans un pays monarchique et en développement, fait donc ce travail que la République française ne fait plus : assurer à chacun et chacune une chance équitable de réussir. En France, non seulement on ne croit plus à la mobilité sociale, mais de surcroît on prête ces dernières années une attention démesurée à l'idée qu'existerait une prédisposition biologique au succès, avalisant ainsi le principe de reproduction sociale nécessaire.
C'est par exemple ce qu'affirme à longueur de pages l'auteur de « La guerre des intelligences ». Une idée absurde, qui ne peut être défendue qu'en déformant grossièrement les travaux de recherche et en ignorant, au contraire, de très nombreuses autres études qui montrent l'importance de la qualité de l'éducation dans la réussite scolaire et sociale.
Pourquoi l'Ecole polytechnique n'initie-t-elle pas un établissement de ce type en créant un lycée polytechnique, qui serait composé d'élèves à potentiel mais issus de milieux modestes et sélectionnés dès le collège ? Il serait ainsi possible de tripler les cohortes d'élèves de la célèbre école, une nécessité à un moment où, plus que jamais, l'on cherche à démultiplier le nombre d'ingénieurs pour permettre la réindustrialisation de ce pays ou encore son développement dans l'IA.
Ancien Régime
Il y a quelques années, j'étais allé défendre cette idée auprès de la direction de l'X et de ses ministères de tutelle. On m'avait écouté poliment et l'un de mes interlocuteurs avait même eu le culot de m'affirmer qu'il s'intéresserait à l'idée si je parvenais à trouver le financement pour la mettre en oeuvre.
Est-il nécessaire de souligner que je ne suis ni fonctionnaire de l'enseignement supérieur (ni fonctionnaire tout court), ni ancien élève de cette école et que ma démarche n'était animée par rien d'autre que l'esprit républicain ? Il ne faut pas après s'étonner que les Français en aient assez d'observer leurs élites se reproduire comme elles le faisaient au cours des dernières décennies de l'Ancien Régime et finissent par voter pour le premier idiot qui leur promet la lune.