Dans la tête de Marc Zuckerberg - Julien Le Bot
Dans la tête de Mark Zuckerberg n’est certainement pas une énième biographie, mais plutôt une dissection minutieuse de l’esprit de celui qui guide Facebook, ce qui induit de facto sa stratégie : c’est à ce titre que ce livre est à mettre en avant parmi de très nombreux autres ouvrages sur le sujet.
Car finalement, qu’opposer à la défense de Mark Zuckerberg? Il semble si sincère lorsqu’il confesse des erreurs, qu’à une époque qui ne manque pas une occasion de célébrer l’entrepreneuriat, existe un réflexe naturel de vouloir lui donner une seconde ou plutôt une énième chance, tant les griefs se sont révélés récurrents à l’égard de sa société.
La caractéristique première de l’ouvrage est de mettre en perspective la pensée de l’auteur avec le développement de l’entreprise pour chercher à comprendre si Facebook peut être amendé, et si les travers observés dans le réseau social des réseaux sociaux peuvent être corrigés. L’auteur a fait de nombreuses analyses des prises de parole de l’entrepreneur, des évolutions des fonctionnalités de Facebook, des tentatives de régulation et de leurs conséquences, avant de parvenir à une première conclusion. Le sujet est d’importance tant il n’y a désormais plus de doute sur le fait que à minima les réseaux sociaux -et à fortiori- Facebook en particulier participent à l’hystérisation du débat collectif. Car tout le paradoxe est là : Mark Z cuckerberg ne cesse de réaffirmer qu’il souhaite rapprocher les gens, que la mission de son entreprise est de permettre aux uns et aux autres de confronter leurs idées pour qu’apparaisse une forme de méta-entente collective, dans un esprit fukuyamien donc.
Les discours de haine, les fausses nouvelles, la radicalisation des postures ne seraient à ses yeux que des troubles périphériques qu’il serait d’évidence possible de gommer. Mais la fresque qui se dégage au fil des pages est toute différente : celle d’une entreprise mue par cette obsession de rapprocher les gens, à un point tel que les critiques aussi pertinentes qu’elles puissent être, en deviennent secondaires. Zuckerberg se révèle en réalité clairement incapable de comprendre qu’il joue à l’apprenti sorcier, en modérant les contenus à minima, en laissant une place disproportionnée aux algorithmes dans la mise en avant de contenu, en ayant du mal à accepter que les contenus outranciers soient valorisés par sa plateforme en raison de leur potentiel à générer du trafic même, en refusant d’envisager que l’intelligence artificielle, désormais de plus en plus présente, puisse induire une altération de notre libre arbitre. Ce qui est le plus frappant, c’est la nature messianique (le mot n’est jamais utilisé dans l’ouvrage mais semble approprié) qui se dégage de la personnalité de Mark Zuckerberg ; certitude de la justesse de sa cause, incapacité à entendre les critiques autrement qu’à la marge ; tout cela dans un contexte où, l’auteur le rappelle à plusieurs reprises, il dispose de 60% des droits de vote, ce qui le rend d’autant plus sourd aux critiques.
L’ouvrage contient également une intéressante analyse (pages 238 à 252) de ce qu’induisent les réseaux sociaux sur nos comportements, sur la polarisation du débat dont profitent tous ceux qui paient la parole simplificatrice, ou populiste. Sur l’immense biais que représente notre paresse intellectuelle qui va nous pousser à lire préférablement un contenu simple et divertissant à une analyse longue, complexe et nuancée. Une analyse qui aide réellement à comprendre pourquoi des leaders comme Trump, le Pen, des stars des réseaux sociaux, parviennent à émerger si aisément.
Ce livre qui se veut une analyse factuelle de la personnalité de Mark Zuckerberg finit comme un pamphlet à charge,
Le débat rapporté entre Zuckerberg et Harari dans les toutes dernières pages de conclusion résume finalement bien l’esprit du livre et du fondateur de Facebook : pour toute réponse face aux critiques de l’historien, l’entrepreneur ne parvient à opposer que son « optimisme » et sa certitude qu’il est du côté de l’Histoire au sein de laquelle la radicalisation de l’esprit du temps ne sera qu’une péripétie, vite oubliée.