La Guerre des intelligences – Laurent Alexandre

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Laurent a eu la gentillesse de m’envoyer son dernier livre et j’avoue qu’en raison du bruit médiatique qu’il a suscité, je lui ai fait subir un raccourci sur ma liste de lecture et l’ai avalé en trois soirées. Dès les premières pages, je n’ai pu m’empêcher de sourire tant on retrouve rapidement les thèmes forts de l’auteur : une humanité en passe d’être dépassée par l’émergence technologique, doublée d’une analyse réductionniste du monde. La thèse de fond est que l’AI est sur le point d’atteindre des gains de performance tels qu’elle va nécessairement introduire de profonds bouleversements sociaux, et renforcer les inégalités à un point rarement observé dans l’histoire.

Il faut être juste avec l’auteur : comme pour chacun de ses précédents ouvrages, il a effectué un solide travail de documentation et la structure de sa thèse est sur la forme étayée de bout en bout. Il est difficile toutefois de ne pas y voir, en creux, l’apologie d’un projet néo-eugéniste, au sein duquel le Quotient Intellectuel et l’efficacité sociale sont plus que jamais des valeurs cardinales. A cet égard, et comme souvent dans les écrits des auteurs issus du numérique (Peter Thill, Ray Kurzveil…), on navigue dans une houle qui brasse l’esprit de Richard Baxter, d’Auguste Compte, d’Ayn Rand… ou positivisme, réductionnisme et objectivisme règnent en maitres.  Ce qui est dommage dans cet ouvrage, c’est que ne sont -par exemple- jamais questionnées les idée que le quotient intellectuel ne soit pas une mesure fiable d’épanouissement individuel et social, comme le montrent pourtant de nombreux travaux ; ni qu’appliquer une logique réductionniste au fonctionnement de l’intelligence ait un sens. Pour le dire plus directement encore, il me semble être d’une grande naiveté l’idée que l’humanité puisse, pour ainsi dire, se réduire à une mesure du QI. Cela me ramène à un livre qui avait aux Etats-Unis eu un grand retentissement médiatique il  y a quelques années, et qui avait initié quelques débats passionnés : “Mind and Cosmos ; Why the Materialist Neo-Darwinian Conception of Nature is Almost Certainly False” dans lequel l’auteur démontrait de façon assez brillante l’impossibilité d’enfermer le projet humain dans une logique réductionniste. Une vision il me semble de plus en plus partagée par les approches scientifiques, épistémologiques, phénoménologique qui promeuvent le principe que la complexité est une clé de lecture désormais déterminante du monde qui vient.

Sur son propos concernant le champ éducatif, l’ouvrage est truffé de références et d’idées intéressantes. Il rappelle avec force combien les dynamiques nouvelles de l’éducation sont ignorées par notre Education Nationale et met avec pertinence en avant l’intérêt que pourrait avoir la technologie -et l’AI- au sein du processus éducatif. Si l’on met de coté les critiques de fond sur l’ouvrage, c’est sans doute ces réflexions sur les systèmes d’apprentissages qui sont les plus intéressantes et qui en font un ouvrage à recommander.

Reste que l’idée de la singularité -qui n’a rappelons le, rien de scientifique- est toujours, comme dans chacun des ouvrages de Laurent Alexandre, hautement présente. Ainsi, la seconde partie de l’ouvrage ne s’intitule rien moins que “2060 – 2080, l’humanité à l’école des Dieux”… Ce qui laisse pantois lorsque l’on constate que Kurzveil est presque devenu un objet de moquerie aux USA tant ses thèses ont été mise à mal par de nombreux travaux. Je crois me souvenir que c’est Douglas Hofstadter, l’auteur de Godel, Escher Bach, qui résumera cela d’une phrase lapidaire, que je n’ai pas retrouvé sur internet mais qui énonçait en substance que  “le singularisme consiste à initier, volontairement ou involontairement, une confusion entre science et science-fiction”. Il ajoutait à cela que c’est malhonnête intellectuellement et surtout dangereux. Je ne fais aucun procès en malhonnêteté à Laurent, mais j’avoue que s’il avait écrit son livre avec un propos un peu plus au conditionnel, je l’aurais trouvé certainement plus crédible et finalement constructif ; car l’impératif qui commande chaque chapitre le rend parfois difficile à lire et, il me semble, fragilise les thèses défendues.

LivreSec Babgi