Mortelle transparence – Denis Olivennes, Mathias Chichportich
Difficile de mieux tomber : entre une polémique sur Facebook /Cambridge Analytica et le lancement du RGPD, au cours de l’année 2018, cet ouvrage s’apparente à une pièce d’horlogerie au sein d’un plan médiatique de précision. Toutefois, et autant le dire tout de suite, on n’y trouve qu’un amalgame de faits connus, ayant un arrière gout de déjà-vu traitant de cas variés d’abus de données privées. Pèle-mêle : un plaidoyer pour le secret des conversations concernant Nicolas Sarkozy et son avocat (une instruction est à ce sujet en cours pour trafic d’influence) ; une affaire concernant un dentiste-chasseur au gros, vilipendée et persécuté pour s’être affiché en portrait sur les réseaux sociaux le pied sur le lion qu’il venait d’abattre – on peut concevoir qu’au XXIème siècle, cela fasse tache – et ainsi de suite.
En soit ces quelques exemples auraient pu être le début d’une thèse structurée et argumentée. D’un normalien (Denis Olivennes) et d’un avocat-enseignant (Mathias Chichportich), c’est ce que à quoi nous étions en droit d’attendre. Or, rien de tout cela, les exemples et les diatribes dénonciatrices de notre perte d’intimité se succèdent sans discontinuer et la thèse générale est compréhensible dès la page de couverture ; elle ne fait qu’être renforcée sans jamais aborder son antithèse. D’une façon incroyable, à aucun moment, les auteurs ne relèvent les extraordinaires avancées dans la diffusion des idées, des techniques, l’impact économique qu’a permis internet.
Mais il y a plus grave : les auteurs ne prennent même pas la peine de cerner leur sujet. Qu’est ce que l’intimité, l’individu, à la base de la notion de donnée privée, de secret? En quoi la Réforme a-t-elle induit une culture de la transparence, mais aussi une conscientisation de l’individu dans le monde anglo-saxon? Or, ces préliminaires sont essentiels pour comprendre la nature de l’évolution que nous traversons. Lorsque Vinte Cerf affirme que “privacy may be an anormality” [destinée à disparaitre], que veut il dire? Il évoque la lente construction de l’identité individuelle, passant par le “cogito” de Descartes, il évoque implicitement Durkheim et ses travaux sur la constitution de l’identité de classe et donc de l’individualisme. Or, pas une ligne à ce propos dans cet ouvrage. Comprendre cette thèse, la développer, l’argumenter et la contre-argumenter aurait été réellement intéressant pour justement défendre la notion de privacy telle qu’elle pourrait émerger au XXIème siècle.
Plus frappant encore ; absolument rien sur le RGPD, cette législation européenne ayant trait aux données privées ; un texte pourtant salué par tous comme fondateur. De fait, on a le sentiment que ce petit ouvrage (191 pages) ne répond qu’à une volonté de défoulement de la part des auteurs, que l’on peine à ne pas assimiler au petit cercle trop souvent réactionnaire dans son appréhension de la modernité que compose nombreux d’acteurs ou anciens chroniqueurs de médias sur le déclin. La critique est sévère, mais elle est proportionnée à la qualité des auteurs, et elle cherche aussi à susciter le sursaut de la part de ceux qui ont longtemps portés de nouvelles idées, pour aujourd’hui s’appesantir dans une nostalgie intellectuelle difficile à accepter.