IA : un sommet à Paris pour faire entendre une voix différente
L'immense accélération de l'IA ne s'arrêtera pas et il est important que tout un chacun s'y prépare, souligne Gilles Babinet. Le Sommet de Paris doit permettre de promouvoir une approche différente de celle mercantiliste poussée par les Etats-Unis.
L'un des enjeux du Sommet de l'IA à Paris est de recréer la dynamique d'attraction de la France à l'égard des start-up et des entrepreneurs étrangers, analyse Gilles Babinet. (Collage « Les Echos »)
Cela recommence à peu près comme il y a une dizaine de mois lors de la préparation des Jeux Olympiques : les Cassandres qui annoncent que le « Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle » est voué à être un flop sont incomparablement plus nombreuses que ceux qui s'attendent à un succès, même relatif. En soi, on se dit que ce pays a besoin d'une psychanalyse géante ; tant la capacité de dénigrement de ses habitants, le plaisir que nombre d'entre eux ont à se complaire dans la prédiction d'un échec et le manque d'assurance des autres qu'un succès décontenancerait, est à souligner. Que peut-on raisonnablement attendre de ce sommet ? Il me semble que quatre objectifs pourraient caractériser sa réussite, et que ces objectifs sont partiellement ou totalement atteignables.
Le premier est probablement d'accélérer la prise de conscience collective de la rupture pour ainsi dire civilisationnelle que représente l'avènement de l'IA. Qu'on le souhaite ou pas, cette immense accélération ne s'arrêtera pas et il est important que tout un chacun s'y prépare. Le fait que le sommet se tienne en France donnera à nos concitoyens une exposition unique aux enjeux liés à cette technologie, à ses ramifications, ses opportunités et ses risques. C'est donc un facteur premier d'acculturation.
Contre narratif
Le second concerne la possibilité de faire entendre une voix différente. A l'heure où il est difficile de s'opposer à l'idée que les Etats-Unis s'enfoncent dans la dystopie, il est fondamental pour l'humanité de créer d'autres perspectives que celles d'une technologie mise en oeuvre à des fins excessivement mercantilistes, de captation de l'attention et de domination économique.
Il me semble que les sujets sur lesquels l'IA peut effectuer des percés remarquables ne manquent pas et au-delà de la santé (où les Américains règnent en force), les enjeux d'environnement, de gestion des infrastructures, de santé mentale, d'institution politiques inclusives… sont quelques-uns des terrains sur lesquels d'autres pays et alliances pourraient se positionner. Il faut affirmer au plus vite un contre narratif à celui qu'impose brutalement le pouvoir américain.
Jusqu'à la dissolution de l'année dernière, la France avait réussi le tour de force d'être l'un des pays économiquement les plus attractifs - selon le baromètre EY - et cela également à l'égard des entrepreneurs.
Le troisième concerne les annonces que l'on peut attendre. Probablement des accords à l'égard de système de financement européen, ou encore sur le plan de la « sécurité de l'IA », pour laquelle de nombreux pays souhaitent mettre en oeuvre des feuilles de route pragmatiques, au-delà des textes européens existants. Il faut également s'attendre à de très nombreuses annonces sur le plan technologique, commercial et social. On peut être nettement plus réservé sur la possibilité d'un grand accord, impliquant en particulier les Etats-Unis.
Foisonnement d'échanges
Le quatrième enfin concerne le foisonnement des échanges entre chercheurs, start-up et grandes entreprises ; on sous-estime généralement les conséquences de ce type d'échanges - qui ne sont pas si fréquents qu'on pourrait le croire - et qui permettent souvent d'initier de nouvelles formes de partenariats, parfois à hauts potentiels.
Enfin, pour la France, ce sommet sera l'occasion de réaffirmer l'idée qu'elle souhaite jouer un rôle dans le développement de l'IA, sans doute également de rappeler aux équipes d'entrepreneurs, de chercheurs, d'acteurs issus de la société civile qui vont y passer quelques jours qu'ils sont bienvenus s'ils souhaitent s'installer dans ce pays.
Car, il convient de le rappeler. Jusqu'à la dissolution de l'année dernière, la France avait réussi le tour de force d'être l'un des pays économiquement les plus attractifs - selon le baromètre EY - et cela également à l'égard des entrepreneurs. Le fait qu'un nombre significatif de fondateurs expérimentés d'origine américaine soient venus s'installer à Paris est un signal qu'il ne faut pas négliger. Ce n'est certes plus le cas, mais cela montre que des objectifs ambitieux peuvent être atteints. Ne tient qu'à nous de vouloir recréer cette dynamique, voire de définir des objectifs plus ambitieux encore.
On ne saurait conclure cette analyse des objectifs du sommet sans faire ici publiquement - et comme pour les JO - le pari que ce sommet sera, malgré le contexte de quasi-blocage de la situation économique et politique française, un succès, clair et net. Pari posé et assumé.