Remettre les progrès de l'IA au service de tous
La méfiance des Français à l'égard de l'intelligence artificielle est plutôt élevée. Ouvrir plus largement le débat sur cette technologie est nécessaire afin de permettre à chacun de s'en emparer.
Il y a quelques mois, une étude de l'Ifop révélait des données intéressantes à propos de l'attitude des Français vis-à-vis de l'intelligence artificielle . Il en ressortait que, pour une majorité d'entre eux (51 %), elle « les inquiète », qu'ils « ne veulent pas y être formés » (63 %) ou qu'elle représente « un danger pour l'emploi » (56 %). Il suffit d'ailleurs d'aborder le sujet lors d'un déjeuner de famille ou au travail pour rapidement constater que l'inquiétude est assez générale, à quelques exceptions près comme l'intérêt de cette technologie dans le monde de la santé ou l'assistance à la conduite.
Mais sur le fond, la technologie fait peur. Les films et romans d'anticipation ont leur part de responsabilité avec des scénarios comprenant des machines qui se retournent contre les humains (« 2001, l'Odyssée de l'espace ») ; des robots dont la mission est la destruction de l'humanité (« Terminator »), qui jouent de manipulation sentimentale (« Ex Machina », « Her »), qui fabriquent des virus informatiques (« Tron : Legacy »), etc. Le fait que ces technologies soient fortement anthropomorphiques est de surcroît un fort facteur d'inquiétude.
La crainte d'un effacement culturel
Pour autant, ces technologies sont pour ainsi dire incontournables. Nous savons que si nous ne les développons pas nous-mêmes, elles s'imposeront à nous, et le plus probablement en venant d'Outre-Atlantique. Il s'agit là d'un facteur d'inquiétude supérieur : la crainte qu'avec ces technologies, nos modes de vie, nos règles éthiques, nos cultures soient balayés par ceux d'une autre nation.
Ces inquiétudes sont d'autant plus légitimes que ces technologies sont fabriquées par un nombre incroyablement petit d'individus . Quelques milliers tout au plus, qui décident de la façon dont nos données seront utilisées, de l'expérience utilisateur que nous aurons dans nos voitures, nos maisons, nos lieux de travail, etc. Avec des incidences parfois immenses sur des sociétés entières.
C'est forte de cette analyse que la Commission IA, dont je faisais partie, a proposé, dans le rapport remis en avril au président de la République, de monter un dispositif dénommé « Café IA » qui vise à aller débattre d'intelligence artificielle avec des millions de Français : dans les lieux associatifs, les cafés, les espaces numériques… L'objectif est de parler de tout - comment ça marche, en tapant quelques lignes de code, en comprenant ce qu'est un arbre de décision - et de débattre des questions que tout le monde se pose. Quel risque pour l'emploi ? Les machines peuvent-elles devenir conscientes ? Puis-je en faire mon métier ?
Dynamique fortement inclusive
L'idée est donc avant tout de débattre, mais aussi de faire en sorte que chaque participant puisse, s'il le souhaite, en ressortir avec une feuille de route personnelle ; des titres d'ouvrages à lire, des vidéos à regarder, des moocs à effectuer… Et même des écoles où ils pourraient éventuellement s'inscrire, pour les plus engagés.
Cette initiative n'a rien de subalterne, et à maints égards, on pourrait la considérer comme un projet politique. Il s'agit, au travers du débat , de permettre de faire ressortir des choix collectifs, des envies partagées, des interpellations souhaitées du législateur, car les applications de l'IA peuvent tout aussi bien créer des situations de dépendance qu'êtres des facteurs d'épanouissement. Mais pour que ces choix soient faits, il faut que nous ayons une compréhension éclairée des enjeux, des opportunités comme des risques.
En réancrant les Français à la modernité, en les rassurant sur les évolutions possibles de cette technologie, en leur donnant des perspectives qui leur permettront de s'en emparer, nous pourrions recréer une dynamique fortement inclusive. Et même si certains pays ont pris de l'avance, nous n'en sommes pas moins à peu près tous au même point, c'est-à-dire sur la ligne de départ. Il nous appartient maintenant de réinsuffler au mot progrès toute sa valeur : celui de l'utilisation de la technologie au service du bien commun.