La logique de l’honneur – Philippe d’Iribarne
Un livre essentiel à qui s’intéresse à la transformation digitale, bien qu’écrit en 1992. La raison en est que Philippe d’Iribarne s’est spécialisé dans l’étude du fonctionnement des entreprises et des économies en fonction de cultures différant fortement d’une nation à l’autre. Il met en avant trois types de cultures :
le modèle anglo-saxon, particulièrement factuel et contractuel. Les relations detravail sont régies par l’importance des cadres contractuels et de la transparence. La liaison entre un cadre et son subordonné y est définie tout à la fois par la mission contractualisée que par les indicateurs mesurables qui permettent d’assurer que cette mission, confiée au subordonnée est convenablement réalisée. Selon d’Iribarne, ce cadre en apparence simple induit un certain nombre de rigidités corporatistes, parfois difficiles à dépasser mais n’en reste pas moins très productif,
le modèle hollandais, au sein duquel l’accomplissement d’une tache par le collectif prime. L’importance des grades et titres est là minimisée et le dialogue, voir la confrontation sans ambages est privilégiée. Un modèle évidemment efficace mais qui semble être confronté à la difficulté du traitement de cas individuels problématiques. Une conséquence parmi d’autre que relève d’Iribarne est le très important absentéisme (x4 par rapport aux USA) que l’on observe dans le modèle néerlandais,
le modèle français, que d’Iribarne appelle “la logique de l’honneur” où c’est une forme d’éthique personnelle qui va engager les individus et structurer les relations entre eux. Ce modèle implique un niveau de codes subtils et non-dits importants ; en contrepartie il semble aboutir à des niveaux d’engagements des collaborateurs qui pourraient être supérieur à d’autres.
En lisant cet ouvrage, on ne peut pas ne pas penser à nombre de situations que l’on rencontre au quotidien en France (et particulièrement à Paris), où nos concitoyens semblent souvent dans une réserve qui peut soudainement se transformer en une explosion revendicatrice si ce qui semble constitutif de leur(s) identité(s) vient à être attaqué. Ce que pointe d’Iribarne, c’est donc l’importance de la forme bien avant le fond, dans la prise de décision et la nécessité de prêter une attention première à un ensemble de codes sociaux dont la vocation première est avant tout de démontrer que l’honneur est sauf.
L’auteur se garde bien de décrire un modèle qui aurait un avantage déterminant sur les autres, mais il observe que les règles explicites ne priment pas toujours, particulièrement dans le modèle français. Ainsi, si celui-ci donne une importance toute singulière aux grades et titres, il observe également que les données objectives ne sont pas aussi déterminantes qu’elles pourraient être dans ce modèle qu’elles le sont dans le modèle hollandais et dans une moindre mesure américain où l’objectif prime sur l’honneur individuel. A l’égard du digital, c’est une observation pertinente. Elle pourrait expliquer pourquoi la mise en oeuvre de modèles extrêmement flexibles, basés sur une évaluation pour ainsi dire permanente de la performance est si commune dans le modèle digital américain et -d’après les observations que j’ai pu en faire- plus difficile à mettre en place dans le modèle français. Car rappelons-le : le modèle digital repose largement sur la capacité des analytics -de la mesure permanente de la performance- de l’AB testing et du benchmark. Or, les logiques de total analytics sont beaucoup moins répandues en France qu’ailleurs, selon les éditeurs même de solutions logicielles d’analytics. La logique de l’honneur est à cet égard un livre fort, car il décortique les sous-jacents implicites qui expliquerait les différences managériales et difficultés d’adaptation de la révolution digitales à toutes cultures et en particulier à la française.