Pour une écologie numérique – Eric Vidalenc
J’ai connu l’auteur dans un contexte d’échanges -courtois- sur twitter à propos du nucléaire sujet sur lequel nous semblons en désaccord. Cela ne l’a pas empêché de m’offrir très élégamment son dernier livre qui évoque le sujet étonnamment peu couvert de l’écologie numérique. L’ouvrage, court d’une centaine de pages, est particulièrement accessible résumant en termes simples aux néophytes les grands enjeux liés aux opportunités et inconvénients du numérique pour l’environnement.
Le premier chapitre trace une dynamique historique des enjeux au travers des décennies écoulés et résume les défis qu’il conviendra de relever. Ceci formant une bonne introduction à la seconde partie, qui elle évoque les grands thèmes d’opportunités : la smart-maison, le smart-véhicule, la smart industrie (ou industry 4.0), la smart-agriculture (ou agtech), la smart-ville, etc. Tout cela ouvrant sur une troisième partie, traitant des déviances observées de la révolution numériques : des architectures de services qui ne se soucient pour ainsi dire pas de leurs externalités énergétiques, des innovations qui favorisent des comportements individuels comme la livraison immédiate et systématique à domicile, ou le voiturage à outrance (Uber…), et au delà, un modèle d’innovation emmené par la culture libertarienne où la place du collectif est par essence assez réduite.
L’auteur souligne à juste titre que cette culture de l’innovateur-entrepreneur-héro, auquel se s’oppose pour l’instant qu’une faible gouvernance, a des conséquences que l’on ne commence qu’à peine à essayer de contrôler comme une génération de déchets exponentielle, une explosion de la consommation électrique, des usages qui, on l’a vu, ne sont pas durables, etc.
De même certaines déviances comme la possibilité de tricher avec des algorithmes censés pourtant réduire les émissions de particules fines, dans le cas Volkswagen, sont également à juste titre rappelées.
Au delà, l’immense impact du numérique sur le climat et plus largement l’environnement est bien décrit, avec une actualisation récentes de données qui, en raison de l’accélération même de la révolution numérique, évoluent très vite.
Il faut toutefois atteindre la toute fin du livre et la page 109 pour que les aspects positifs du numérique soient clairement évoqués ; les interêts que cela peut avoir sur l’optimisation des systèmes énergétiques par exemple. Les idées d’éco-conception des logements par le numérique, l’industrie à façon en mode 4.0 ou encore le potentiel agricole ne sont que très succinctement évoqués.
On regrettera quelque peu que l’ouvrage n’ait pas disposé d’une centaine de pages supplémentaires afin de développer plus avant ces idées, en particulier ce qui est de plus en plus défendue dans quelques universités de recherche, comme l’EPFL ; celle que dans les gains d’opportunités intrinsèques à la gestion des flux (transport, biens energies…) et dans la modélisation des d’environnements multifactoriels se nichent de grands bénéfices pour l’environnement. Lorsque l’on sait que les camions au sein de l’Union européenne ne roulent que chargés à 32% en moyenne, (et 15% en ville) l’on voit qu’il a encore des opportunités à saisir. Ces modélisations s’appliquant aussi bien aux optimisations énergétiques dans l’industrie, le batiment, les environnements domestiques, et également les environnements massivement multi-factoriels comme ceux concernant la circulation multimodale ou l’optimisation d’intrants dans l’agriculture, quelques pages de plus à ce propos auraient été vraiment appréciables.
De même, parvenir à évoquer l’ensemble des travaux qui visent à améliorer la performancece énergétique des data-centers auraient été bienvenu, d’autant que parmi les personnes remerciés à la fin de l’ouvrage se trouvent deux experts de cette discipline.
On comprend évidemment que la volonté de l’auteur est de produire un ouvrage qui reste avant tout un travail de vulgarisation et de médiatisation de cette discipline nouvelle, de sorte à permettre au plus grand nombre de saisir les idées ici développées.
Seul petit désaccord : cette idée que les véhicules électriques puissent demain être des systèmes de stockage du réseau électrique permettant de franchir les peak-loads et se comporter comme des batteries de réserve la nuit ou lorsqu’il n’y a ni soleil, ni vent. Cette idée, élégante sur le papier, semble loin d’être une réalité d’après la matinée de conférences que j’avais pu écouter lors du Smart-city forum de Barcelone en 2018. Il semble que pour l’instant, toutes les simulations sérieuses montrent que cette hypothèse requerrait des investissements pour l’instant hors de porté (repenser la structure du réseau, y adjoindre des systèmes de contrôle dynamiques des équipements les plus consommateurs, créer une norme de communication numérique qui soit tout à la fois industrielle, tertiaire et domestique…) , et que la conséquent son application à large échelle se situe probablement à de lointaines années devant nous.
L’ouvrage n’en reste pas moins salutaire dans la mesure où il n’existe que peu de littérature sur le sujet ; au risque de se répéter, une version allongée et plus approfondie serait donc bienvenue !